Exemple simple :
« Si tu es exaspéré, guéris–toi de cette façon d’être »
Pensée pour moi-même, Marc Aurèle.
Cette citation pourrait être un sujet philo du BAC. Correcteurs comme étudiants en diraient des merveilles. Comprendre, c’est ça : s’approprier et développer un point de vue. C’est le fonctionnement ordinaire de l’être humain ; il pense, et ce qu’il pense, comme on dit, ça ne mange pas de pain. Tu comprends parfaitement mais ça ne te change pas. C’est la parabole du semeur.
Chaque fois qu’une parole est entendue, elle se transforme en pratique, non en pratique pour atteindre quoi que ce soit, mais en pratique de l’ici et maintenant en réponse à l’ici et maintenant qui se dévoile dans la conscience/cœur.
Alors, pour reprendre le même exemple, chaque fois que le plus léger agacement survient, guéris–toi de cette façon d’être surgit comme un rappel en soi-même, de soi-même. Ce n’est pas la parole de Marc Aurèle qui surgit mais l’entendu ; Dans l’instant il y a mouvement de désidentification de l’agacement, sans but à atteindre. C’est une réponse dans l’instant à l’instant. La cause apparente de l’agacement n’est pas retenue. L’atteindre moi plus jamais agacé n’est pas retenu, car il est vu que moi sera toujours agacé par ce qui ne va pas dans son sens.
La pratique ne mène nulle part ; elle dissout la source (moi) et ne s’occupe pas du fruit (l’agacement).
Devant des témoignages comme celui d’Etty Hillesum
« […] Mais pour ma part, je ne cesse de faire cette expérience intérieure : il n’existe aucun lien de causalité entre le comportement des gens et l’amour qu’on éprouve pour eux. »
(Une vie bouleversée, éditions Points)
Il est frappant de voir comment l’être humain peut être touché émotionnellement sans rien avoir entendu de ce dont elle témoigne : la complète disparition du point de vue personnel.
Etty Hillesum n’a pas atteint quoi que ce soit ; elle a disparue en tant que point de vue, en tant qu’histoire personnelle, en tant qu’histoire collective. Elle s’est simplement dissoute en tant que moi/identité-conditionnée à travers la pratique décrite par Rumi :
« L’être humain est un lieu d’accueil
Chaque matin un nouvel arrivant.
Une joie, une déprime, une bassesse, une prise de conscience momentanée, arrivent
Tel un visiteur inattendu.
Accueille-les tous
Même s’il s’agit d’une foule de regrets
Qui d’un seul coup balaye ta maison
Et la vide de tous ses biens.
Chaque hôte, quel qu’il soit, traite-le avec respect,
Peut-être te prépare-t-il
A de nouveaux ravissements.
Les noires pensées, la honte, la malveillance
Rencontre-les à la porte en riant
Et invite-les à entrer.
Sois reconnaissant envers celui qui arrive
Quel qu’il soit,
Car chacun est envoyé comme un guide de l’au-delà. »
Rumi
Et nous revoilà au début de la page : comprendre ou entendre.
« L’être humain est un lieu d’accueil », parole miroir révélant à chacun la part d’humain qu’il incarne, ici et maintenant. Or l’humain n’est un lieu d’accueil qu’à partir du moment où il retourne à la nature originelle de la conscience incarnée : La nature originelle de la Conscience incarnée est vacuité, c’est-à-dire vide de toute histoire personnelle ou collective. L’homme n’est homme qu’en cet état « avant que moi fut ». Rien de fumeux là-dedans, bien au contraire. Tant qu’il n’est pas retourné avant que moi fut, l’homme ne marche pas sur la terre ; il marche dans sa tête comme la souris dans sa roue. Il s’imagine être un lieu d’accueil à travers des actes, parce qu’il ne regarde pas à la source de ses actes. S’il le fait, il voit, sans condamnation aucune, sans auto-flagellation, qu’en matière d’accueil, là aussi, l’habit ne fait pas le moine.
Voir c’est toujours heureux, je n’ai pas dit que c’était agréable.
Maître Eckhart concernant nos actes est très clair :
« Les gens ne devraient pas toujours tant réfléchir à ce qu’ils doivent faire, ils devraient plutôt penser à ce qu’ils doivent être. S’ils étaient seulement bons et conformes à leur nature, leurs oeuvres pourraient briller d’une vive clarté. Si tu es juste, tes œuvres le sont aussi. Ne pense pas mettre ton salut sur un » agir » : c’est sur un être qu’il faut le placer. Car les œuvres ne nous sanctifient pas, mais nous devons sanctifier les œuvres. Et même s’il s’agit des œuvres les plus pieuses, elles ne nous sanctifient pas le moins du monde parce que nous les accomplissons : mais dans la mesure où nous avons l’être et l’essence, nous sanctifions notre agir, que ce soit manger, dormir, veiller ou n’importe quoi d’autre ».
Et à nouveau : comprenons-nous ou entendons-nous ?
Si nous entendons maître Eckhart, chaque acte est pour nous l’opportunité de voir au plus profond de la conscience :
« La cause de tes difficultés n’est pas dans les choses, c’est toi-même dans les choses. C’est pourquoi regarde-toi d’abord et quitte-toi. »
« En vérité, si tu étais vraiment un, tu resterais également un dans la distinction et la distinction deviendrait pour toi l’Un et elle ne pourrait plus en rien te faire obstacle. »
« Tant qu’il continue à se réjouir de ceci et à s’affliger de cela, un homme n’est pas juste ; disons plus : si l’on est heureux une fois, on est heureux tout le temps ; si l’on est heureux à un moment et moins heureux à un autre, c’est le signe qu’on n’est pas droit. »
Soufis, les mystiques du Nil. Arte
Belle semaine
François
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