Il est souvent dit que la manifestation est duelle. Il serait sans doute plus objectif de dire qu’elle se manifeste en pôles opposés : le jour, la nuit, le froid, le chaud, etc.
En effet, ce qui crée la dualité c’est le point de vue, c’est à dire la conscience identifiée, l’inconscient de chacun, chacune, se manifestant dans le conscient de chacun, chacune. En effet, il n’y a aucune dualité entre le chaud et le froid. L’un et l’autre sont ce qu’ils sont. La dualité commence avec la qualification et la préférence de l’un ou de l’autre. Or la qualification est l’expression d’un point de vue.
Plus encore, le point de vue, quel qu’il soit, crée le point de vue opposé de facto. Et cela, chacun, chacune, peut en faire le constat en lui-même, en elle-même.
Dans son enseignement :
Thich Nhat Hanh, décrit parfaitement l’identification, le point de vue, et ses conséquences :
Prenant une bande de papier il dit (je retranscris de mémoire) : si vous êtes positionné à gauche, la gauche s’incarne en ce point de la feuille. Ce faisant apparaît alors la droite. Alors vous voulez supprimer la droite, et prenant des ciseaux vous coupez la partie opposée du ruban de papier. Que se passe-t-il ? La droite se rapproche de vous ! De même si vous vous positionnez à droite au départ.
Ceci est tout sauf un concept : c’est un constat que chacun, chacune doit faire ; croire ou ne pas croire c’est du pareil au même.
Regardons-en nous-même :
avant qu’il y ait point de vue, il y a juste vision. Rien d’autre.
Au cœur de cette vision il y a apparition de quelque chose. S’il n’y a aucun point de vue, aucune référence, aucun pré-acquis, il y a réponse à ce qui apparaît, et non défense d’un point de vue subjectif dont la source est toujours l’inconscient ; il n’y a aucune qualification non-programmée ; au sein de la conscience/source, une et même, manifestée en formes multiples il n’y a pas qualification, la Conscience se répond à elle-même d’une forme à l’autre. Elle Est le chaud, Elle Est le froid ; Elle n’a ni chaud, ni froid.
Mais pour être témoin de cet état/vision, faut-il encore qu’un retour de la Conscience en son origine, en cet avant qu’elle ne devienne quelqu’un/point de vue, ait été goûté. En ce goût, aussi ténu soit-il, est vécu cet instant où la vision/Conscience/Origine devient points de vue, cet instant où le ciel que nous sommes devient ce qui le traverse, et crée au même instant le beau ou le mauvais temps. Le ciel/Conscience, par essence écran, permettant la mise en image des contenus de l’être, devient un film particulier recouvrant totalement l’écran.
Découverte que la dualité est la création du point de vue, de la conscience identifiée ; vision qu’en m’identifiant à une partie, je fais de la polarité une opposition, que j’ouvre l’abîme de la dualité. Vision que tous les combats humains, les exactions, les exploitations, ont tous comme origine la volonté de créer un monde parfait selon « moi ». Vision que mon film personnel (psychisme) recouvre, en s’y projetant, le flamboiement du Un manifesté en formes multiples.
Découverte que l’effacement momentané du moi, de l’ego, de la conscience identifiée, est effacement du psychisme, et qu’il demeure une Conscience absolument vide et pourtant localisée, celle-là même qui se vit en « Je Suis ». Si cette localisation disparaît en même temps que le monde manifesté dans les témoignages de samadhi, les éveillés quelle que soit leur tradition, (Ramana Maharshi, Nisargadatta Maharaj, Rumi, maître Eckhart etc.) témoignent tous d’une disparition du « je suis ceci, cela » et d’une Conscience localisée, pur « Je Suis » manifesté au travers d’une forme. Par cette localisation, la Conscience/Origine prend en charge, pendant un certain temps, la forme qui la manifeste, sans y être aucunement identifiée, sans en faire la source du « moi/l’autre ».
Enfin, il ne faut jamais oublier que, goûter, savourer, voir Cela que je suis, n’est pas l’être. Aussi cette vision, ce constat peut-il être le commencement du chemin, ou la naissance d’un nouveau rêve : le rêve d’être non identifié, je suis la vacuité, alors que toute ma vie, d’instant en instant, me prouve le contraire. Ce dévoilement devient une autre façon d’affirmer ce que nous ne vivons pas.
« Quelle distance entre celui qui prouve par Lui, et celui qui cherche à Le prouver ! Le premier reconnaît la vérité là où elle est, et affirme tout par l’existence de son principe. Le second, en prouvant Dieu, montre combien il est loin de Lui. »
Ibn Ata Allah
Ce « Voir » si précieux, ce goût, cette saveur, qui se révèlent à nous, mettent les voiles du « moi » en contraste. Si cette vacuité est vécue ainsi, alors chaque voile devient saveur sans mot, et fait naître une pratique dans l’instant qui est celle de la Conscience revenant à Elle-même : désidentification d’avec la saveur révélant : « je suis moi, ceci, cela ».
SHOSAN SUZUKI.1870-1966 :
L’éveil est l’éveil qui s’éveille sans s’éveiller.
L’éveil qui s’éveille est l’éveil en rêve.
Belle semaine
François
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